Représentation et Rationalité limitée :
Cet article se veut une réflexion globale articulée autour de la pensée d’Herbert Alexander SIMON, économiste : spécialiste de la psychologie cognitive et de la
systémique, sa
volonté est simple : montrer les limites à toute volonté de rationalisation du monde qui nous entoure et pour ce qui nous concerne : le football.
Cet article
ne concerne donc pas directement le foot de playground, mais les conclusions finales ont un impact clair sur notre vie de tous les jours comme sur la pratique du foot.
Pour commencer deux citations (trouvées sur encyclopedia universalis) qui ont provoqué chez moi un choc intellectuel radical, à la fois d’un point de vue sociologique, anthropologique, puis footballistique :
- « La rationalité de l'homme est limitée par son incapacité à envisager la totalité des éléments pertinents au regard de la décision qu'il lui faut prendre, du fait des limites de son champ d'attention. La rationalité de l'homme est subjective, car elle dépend de la représentation de la situation de choix construite par lui ».
- « Désormais, les limites de la capacité de traitement de l'information de l'homme rendront compte de sa rationalité limitée. Il ne sera plus supposé rechercher, dans une situation de choix, l'option optimale. Il arrêtera son choix selon un critère de satisfaction ».
Se positionnant clairement dans la dynamique Kantienne de refus du caractère absolu de la raison, tel que véhiculé par les Lumières, il replace l’homme au rang de
simple entité physique
dont les choix ne sont pas guidée par une rationalité intégrale ou objective, mais par une rationalité limitée ou procédurale.
Car, l’être humain témoigne d’une incapacité cognitive à compiler, analyser et extraire suffisamment d’informations pour obtenir une gamme de choix complète et absolue, lors des ses interactions (décisions, choix) avec le monde social et économique.
Au final ses choix, ses décisions seront biaisées : ils ne pourront pas tendre vers un optimum, mais simplement vers une satisfaction calculée comme étant la plus élevée parmi tous les cas de figure qu’il est capable intellectuellement d’envisager (importance des représentations) et d’intégrer.
Quels sont les rapports entre cette réflexion sociologique, épistémologique et économique avec le football de playground ? C’est simple, dans toute situation qu’elle soit éminemment sociale ou exclusivement sportive, notre liberté de choix n’est qu’une chimère, une mystification intellectuelle, de par la simple constatation de notre entendement fini. Le libre-arbitre ne s’exprime qu’à travers une palette de choix réduite car nous ne sommes pas apte « anthropologiquement » à appréhender la globalité des situations qui s’offrent à nous en permanence.
Ainsi, pour revenir dans le domaine du football, il m’apparaît indispensable de réfléchir sur le conditionnement mental propre à améliorer notre « finitude » cognitive, pour optimiser, au mieux, (l’optimum comme l’a montré H.A. SIMON est impossible à atteindre), nos choix intuitifs notamment balle au pied.
I/ Univers mental et alternative décisionnelle : le dilemme de la représentation
« La rationalité de l'homme est subjective, car elle dépend de la représentation de la situation de choix construite par lui ».
Comme l’indique avec génie H.A. SIMON, nos choix, produits (soi-disant) d’un esprit : libre et autonome, possédant un champ d’existence spécifique et inaltérable, sont pourtant structurés autour d’une donnée inconsciente : la représentation du monde qui nous entoure, et plus particulièrement la représentation de nos alternatives.
Cela conduit à l’unicité de la pensée humaine et surtout à l’unicité des pensées humaines. Ainsi, une solution offensive offrant une opportunité objective de déséquilibrer la défense adverse, peut se voir totalement occulté par le porteur de balle, simplement parce que dans son univers mental, travaillant tout son système cognitif et par la même tout le « schème décisionnel », la solution proposée ne répond pas à une attente inconsciemment souhaitée ou estimée idéale par le joueur.
Ce que je veux montrer, c’est que par delà l’aspect technique du jeu, il y a tout un aspect mental qui échappe complètement à toute tentative d’optimisation et de contrôle (néanmoins dans les clubs les plus huppés, la préparation mentale est de plus en plus poussée et intensive), à cause tout simplement du constat de l’unicité des pensées humaines.
Si on dépasse la réflexion de SIMON, on peut voir que les représentations transcendantes (celles ayant acquis une dimension collective ou méta-individuelle) sont en quelque sorte des matrices de rationalité. Ca signifie qu’elle recréé une rationalité alternative à la rationalité objective hypothétique, une rationalité autocentrée n’ayant une réalité et une efficacité que dans cette sphère transcendante.
Phénomène qui a une influence : chaque esprit humain est traversé par ces représentations sociales, économiques, ou idéologiques, qui vont ensuite être modifiées, fragmentées et au final individualisées par notre inconscient.
Ce qui va en amont : influer sur la structuration intellectuelle des alternatives, se présentant à nous, à tous les moments de notre vie.
Et en aval : venir altérer le processus de prise de décision.
Le problème majeur se situe à deux niveaux : ce n’est pas tant le fait que, par essence, toutes les représentations mentales sont propres et particulières à l’individu qui les produits qui est négatif, mais c’est leur dimension sociale puis affective qui posent des difficultés.
II/ Représentation sociale et affect : comme obstacle à la rationalisation
Dimension sociale : les représentations sont le fruit de nos interactions quotidiennes avec le monde extérieur, monde qui à une réalité et une dynamique propre, en gros une existence autonome (à moins d’adopter une attitude intellectuelle proche du solipsisme). Or, évoluer dans cet espace collectif est indispensable (professionnellement notamment), par nature nous sommes donc amené à intérioriser un nombre incalculable de représentations sociales, par le biais des médias ou de nos échanges inter-individuelles. Celles-ci (les représentations sociales) passent par le prisme de notre inconscient qui va retravailler toutes les informations collectées dans la journée et produire à son tour un certain nombre de représentations qui vont se superposer (voir se confronter) à celles qui leur ont servi de matrice à l’origine.
Ainsi, notre perception du monde est guidée par des représentations collectives, sur lesquelles nous n’avons aucune influence et qui vont être à la base de tout ce mouvement de construction de notre univers mental. Par conséquent, l’autonomie intellectuelle (je dirai même idéologique) est exclue, nous ne sommes pas maître de ce que nous percevons, la manière dont nous le percevons et comment nous réagissons face à ce que nous percevons. Le social est le moteur et la matrice de nos représentations mentales et par là : il est « l’architecture » de toute nos actions (collectives comme individuelles).
Dimension affective :
la conséquence de ces représentations collectives intériorisées puis singularisées, c’est qu’elles vont aboutir à produire par la personne une certaine grille de lecture ou d’analyse des
situations, qui sera spécifique et hautement subjective, dans laquelle l’affectif et l’émotionnel vont avoir un rôle (trop) prédominant.
Ainsi, notre capacité cognitive est finie mais en plus, ce que l’on connaît n’est qu’un agrégat de représentations sociales intégrées et individualisées influant directement sur la sphère sentimentale (prolongement naturel du système cognitif) de notre personnalité. Engendrant ainsi un comportement parasité par l’émotion, qui va limiter davantage encore notre capacité à faire le choix optimal, voir simplement à rationaliser nos décisions.
Autrement reformulé : on ne peut pas tout appréhender de manière exhaustive, mais en plus, le substrat de connaissance sur lequel on se repose (et qui va
structurer notre perception de
a gamme de possibilité qui s’offre à nous) n’est qu’un conglomérat de représentations agissant uniquement sur l’aspect le plus secret et incontrôlable de notre être : l’affect
(issu de notre cerveau paléomammalien, celui des émotions), phénomène diamétralement antinomique à toute tentative de rationalisation des choix présentés devant nous (produit par notre
cerveau
néomammalien, celui de la raison dans la classification de Mac Lean).
Prenons un exemple concret : un joueur passe balle au pied la ligne médiane, devant lui s’offre toute une batterie de possibilité quasi-infinie. Cognitivement déjà il ne pourra en percevoir qu’une fraction ridicule, mais en plus sa raison (ou plutôt sa conscience) sera brouillée par ses représentations mentales. Les possibilités qu’il percevra seront donc réduites encore plus drastiquement. En effet, il exclura inconsciemment un nombre important d’alternatives, car celles-ci seront, émotionnellement ou affectivement, inenvisageables ou non désirées.
C’est le cas d’un gars qui refuse de faire la passe à un de ses coéquipiers pour une brouille survenue avant le match. Ici, on va dire que c’est un exemple extrême, en général c’est imperceptible et non relié directement à un événement précis. C’est plutôt le résultat d’un long processus de compilation d’informations, réalisées par notre inconscient, et sur lequel nous n’avons aucune prise (en psychanalyse on appelle ça la « surdétermination »). On est, en effet, dans le domaine de l’affect : sphère mentale où l’autonomie (la conscience) du sujet est inexistante pour ainsi dire.
III/ Rationalité limitée et autocentrée :
Ce que je voulais montrer c’est qu’à tout moment l’homme par nature est amené à créer une rationalité « ad hoc », autocentrée, égocentrée même. Une rationalité qui ne procède pas d’une objectivisation intégrale des situations se présentant à lui, mais une rationalité limitée :
- d’une part à sa propre personne (l’examen d’une même situation sera toujours différente selon les individus, du fait de l’unicité des représentations propres à
chaque individus)
- mais aussi limitée dans le sens où seule une partie infime des choix seront véritablement appréhendés intellectuellement par la personne, et encore d’une
manière subjective par le biais de ses représentations mentales (réalisant une reconstruction totale de son univers cognitif).
Au final, nos décisions, produit d’un esprit libre pense t’on, ne sont que le résultat d’un complexe jeu entre :
- notre capacité d’entendement fini (opérant une limitation de la capacité de traitement des informations)
- nos représentations mentales
- notre affectivité.
Tout ceci structurant, totalement, notre « schème décisionnel ».
Ce sont 3 domaines sur lesquels les individus n’ont aucune maîtrise : nous sommes dans une situation d’aliénation (à un certain niveau on pourrait même parler d’auto-aliénation), le seul moyen pour en limiter les effets négatifs c’est d’être parfaitement « conscient de cet état de fait », seulement après on peut essayer d’optimiser notre jugement et la rationalité de nos décisions.